Compositeur, concertiste, improvisateur, Jean Morières (1951 — 2014) cheminait sur une voie musicale qu’il définissait comme primitive contemporaine. Transversalité des pratiques, des savoirs, des esthétismes, expérimentation et « autodidactisme » étaient les axes majeurs de sa démarche. La vie quotidienne avec sa partenaire Pascale Labbé, la pratique de l’art, l’étude, étaient pour lui une seule et même démarche pensée pour se révéler ensuite dans l’expression créatrice.
Jean Morières est à l’origine de nombreuses créations musicales allant du duo au Big Band. On trouve dans son œuvre une attirance particulière pour les combinaisons instrumentales hors normes permettant une écriture mêlant les musiques savantes et populaires et laissant une place à l’improvisation. Il a, au cours de sa vie, participé à de nombreuses rencontres improvisées avec des musiciens, des danseurs, des DJ’s, des poètes, des plasticiens, mais aussi composé pour la danse, le théâtre, le cinéma. Ses recherche personnelle sur la flûte l'on mené à l'invention d'un un shakuhachi chromatique : Le Zavrila.
Parmi ses partenaires de jeu on trouve : Pascale Labbé, Florestan Boutin, Keyvan Chémirani, Michel Marre, Denis Fournier,
Thierry Maucci, Pierre Bastien, Bruno Meillier, René Bosc, Guillaume Orti, Dominique Regef, Sophie Agnel, Didier Petit,
Jean-Pierre Jullian, Philippe Deschepper, Clifford Jarvis, Sylvain Kassap, François Tusques, Christiane Ildevert, Paul Rogers,
Christian Zagaria, Gilles Dalbis, Guillaume Séguron Louis Petrucciani, Olivier Benoit, Edward Perraud, Christine Wodraska...
LE ZAVRILA
« L’idée de cet instrument m’est venue après avoir essayé un shakuhachi (la flûte japonaise traditionnelle).
J’ai eu envie d’un instrument qui aurait les mêmes caractéristiques de timbres, une technique de jeu similaire, mais qui pourrait jouer chromatiquement.
Durant des années, j’ai fabriqué, avec l’aide de différents luthiers, plusieurs modèles que j’améliorais en même temps que j’en découvrais la technique.
En 2000, j’ai pris la décision d’explorer systématiquement le zavrila qui est pour l’instant l’instrument idéal pour approfondir le concept de musique primitive contemporaine qui me guide : une rusticité des timbres et une approche physique du son, liées à une sophistication des hauteurs et de la pensée harmonique. »
DISCOGRAPHIE
La grande bleue / Musique imaginaire de la Méditerranée
Ping pong / Duo avec Pascale Labbé
Wakan / Duo avec Pascale Labbé
Si loin si proche / Intervention sur le disque de Pascale Labbé
Recueil / Intervention sur le disque de Bruno Meillier
Stravinski, Lieberman, Ellington / Intervention sur le disque de René Bosc
L'ut de Classe / Trio avec Agnès Binet et Philippe Soulié
Improvisations sur la flûte Zavrila / Solo
Un Bon Snob Nu / Duo avec Pascale Labbé — Écouter
Large Virage / Solo
Esprit, es-tu là ? / Duo avec Florestan Boutin
PARTITIONS
À écouter ci-contre
À écouter ci-contre
Partition Le Fantôme de John Bb
Partition Le Fantôme de John Ut
Pas d'enregistrement à ce jour
VIDÉOS
Jean Morières a inspiré à sa fille Mathilde Morières, réalisatrice, différents essais filmiques qui
documentent sa création, sa vie, sa mort en 2014, et les hommages qui lui ont été rendus depuis.
TEXTES
LA CRÉATION
Texte de Jean Morières
Je préfère à la notion de création celle de découverte, ou encore d’émergence. Il y a dans l’implicite du mot « création » une idée de production, de fabrication. Dans l’idée d’émergence, quelque chose de plus organique est en jeu, en germe.
Quelque chose préexistait et se manifeste.
L’acte artistique appartiendrait plus, en ce cas, à l’univers du chasseur-cueilleur qu’à celui de la production industrielle.
L’écriture et l’improvisation n’ont à ce titre qu’une différence de temporalité et de technique. Fondamentalement, le savoir, le ressenti et les contraintes du moment, imposent à l’intention (intuition) de départ un chemin qui a sa logique interne propre, à laquelle il y aurait en quelque sorte un devoir presque moral de se soumettre, où la règle serait celle du jeu de piste.
Je tire le fil de quelque chose qui se révèle au fur et à mesure.
Dans le cadre de la composition, la liberté est plus grande dans le sens où j’ai la possibilité de revenir sur une idée et la peaufiner, le danger étant cependant de perdre la fraîcheur de l’intention initiale.
Dans le cadre de l’improvisation, la technique consiste à toujours préserver l’espace intérieur qui permet à la pensée intuitive de se former. Le temps de l’improvisation est dense, compact, obscur. Il a besoin d’air et d’espace pour se révéler.
LA MÉDITATION
Texte de Jean Morières
On ne parle pas de la méditation, on la vit. Je suis un matérialiste agnostique. Le fait de prendre un temps consacré à se mettre simplement à l’écoute de ce qui survient est pour moi une activité naturelle et saine pratiquée par tous les êtres vivants. La complexité de l’être humain rend cet exercice encore plus nécessaire, voire vital.
Les névroses sociales ou familiales comme nos schémas préconçus et notre ignorance, notre complaisance envers
nous-mêmes, « l’insoutenable légèreté de l’être », peuvent y trouver un espace-temps pour se révéler, s’épanouir, se résoudre. Cependant, considérer la méditation comme une hygiène physico-mentale serait par trop réducteur.
La méditation est un saut dans l’inconnu, une ouverture au chaos sensible, mystérieux et poétique du monde. Le corps, les affects, l’intelligence, les mémoires (individuelles, collectives, des cellules, des atomes…) y retrouvent une spontanéité d’expression dans le flux continu de la vie, de la mort, du temps et de l’éternité.
Nos consciences, intuitions, visions et interprétations de la « réalité » y acquièrent une acuité et une souplesse non dénuée de plaisir ni d’humour. Le chemin est le but.
L'APPROCHE AUTODIDACTE
Texte de Jean Morières
Le savoir s’apprend, la connaissance se vit. L’improvisation est l’espace immédiat où cette transmutation (du savoir à la connaissance) s’expérimente. C’est l’espace archétypal de la vie par excellence : pas de brouillon, pas d’autre solution que de rassembler une infinité de paramètres en un instant et d’assumer ses actes dans leur inachèvement. Une danse des flux, une dialectique entre l’agir et le lâcher prise, un jeu. Il s’agit d’intensité, d’expérience de première main.
GRAND SINGE
Poème de Jean Morières à Pascale Labbé
Du monde sauvage
Le prétexte d’azur, nous, pauvres mortels
Ici, le parcours, sentiers d’incertitudes et de quêtes épuisantes
L’hiver approche, le temps des spasmes et des dérélictions
Ici, le vortex du temps, les balafres de la vitesse
Tout n’était pourtant que source au regard du voyant
Tant de charmes étaient présents, tant de promesses roses
Suspens spacieux du regard, l’éphémère surgissant
Ailleurs toujours
Nous parcourons, mon amour,
Ici le partage est total, notre vie se joue
L’être sensible aux aguets dans la pudeur des silences
Je t’espère toujours et te respire
LA MORT
Extrait du Traité de Méditation Non Conformiste, par Jean Morières
La mort et la vie sont constamment et simultanément à l’œuvre. Je suis en train de mourir.
La mort ne pose pas vraiment de problème, il faut laisser la place, le flux est constant entre ce qui apparaît et ce qui disparaît. Il y a d’ailleurs une jouissance de la mort. C’est peut-être pour cela qu’elle nous fait peur.
D’ailleurs, il y a autant de manières de mourir que de vivre.
Plus problématique est cette vaste zone de non-mort (non-vivant). Quantité de choses et d’être se refusent, ou ne peuvent mourir. Les innombrables entités qui nous hantent (pensées, affects, rigidités de tous ordres, miasmes informes anciens, existences improbables…), n’ont pas d’énergie propre mais se fixent sur nous comme le lierre sur les murs. Oui, les fantômes existent et ils sont légions à tournoyer autour de nous, mais ça se soigne.
La mort, tout le monde s’en fout, le vide qu’elle laisse, ça...
L'OR FAIT DE TOI
Lettre de Pascale Labbé à Jean Morières
Voir L'Orphée de Rilke par l'Ensemble Luxus
Orphée m’accompagne depuis que tu es mort.
C’est d’abord une peinture : La Mort d’Eurydice par Ary Scheffer.
Eurydice, morte dans les bras d’Orphée, il la porte dans ses bras, se penche sur elle avec désespoir,
à l’arrière, il y a un grand arbre.
C’est comme toi, mort dans mes bras là‐haut, sur la colline, dans la garrigue.
J’ai essayé de t’insuffler mon souffle pendant de longues minutes, j’ai recueilli ton dernier souffle dans ma bouche.
Nos souffles étaient mêlés, comme quand nous jouions ensemble. À la flûte et au chant.
Tu étais mon Orphée, comme lui, tu avais fabriqué ton instrument, tu jouais avec les oiseaux, tu emmenais
tes enfants parler aux arbres, les embrasser, les écouter.
J’étais ton Eurydice. Je suis ton Orphée.
Tu es mon Eurydice, réduit au silence sans ton souffle.
Tu m’as écrit : tu sais, je crois que l’homme est fait pour contempler.
Tu as traversé.
Une nuit, je suis allée te chercher.
Je t’ai attrapé à bras-le-corps, c’était un rêve, très réel.
Tu étais humide, tu m’as demandé pardon, tu m’as dit que tu avais glissé.
Parfois dans mon sommeil une grande chaleur m’envahit, je me plais à penser que c’est toi qui vient te blottir contre moi. C’est ce que nous préférions au monde, dormir blottis l’un contre l’autre.
Quand on t’a mis en terre des oiseaux ont décrit devant nous le 8 de l’infini, sur les voix d’Accentus :
« Ich bin der Welt abhanden gekommen » de Malher.
Tu as laissé sur ta table de travail deux pièces inachevées :
Le fantôme de John
Hymne à l’amour
Je chante tous les jours avec toi, sur ta flûte zavrila.
Je sens ton esprit, ton âme, j’entends ton souffle, ton chant, mais ton corps me manque.
IMAGES
BONUS BITOIRE
Eddy Bitoire est l'avatar délirant et navrant de Jean Morières développé avec la complicité de son fils Antoine Morières (lui aussi musicien), de Pascale Labbé (sa princesse éternelle qui fait caca des roses), et de son fidèle Dr U (Jérôme Dru).
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